Un livre de référence "sur les trans"...écrit par un auteur cis!

Quand un homme cis homosexuel, aucunement spécialiste des enjeux trans, se permet d'écrire un ouvrage qu'il présente comme une référence sur les réalités trans étant donné l'absence de ressources sur la question, c'est alarmant. C'est encore plus alarmant que l'Aide aux Trans du Québec (ATQ), le seul groupe trans qui a été consulté dans la réalisation de cet ouvrage, ait donné son accord à un tel projet!

Metons quelque chose au clair : non, les personnes trans n'ont pas le monopole du savoir et des connaissances de leurs réalités. Il y a effectivement des personnes cis qui sont de véritables allié.e.s. Je pense notamment ici à Françoise Susset, psychologue, qui défend avec ferveur les luttes trans depuis des années, en ayant vraiment les intérêts de ce groupe marginalisé à coeur, et non pas simplement parce que c'est trendy ces jours-ci d'être "allié.e.s" des personnes trans. Et justement, c'est curieux que cette spécialiste de la question ne soit pas impliquée dans ce projet mené par un enseignant d'art dramatique qui ne s'intéresse à la question que depuis peu... Peut-être qu'elle a refusé de prendre part à un projet qui vient permettre à un homme cis de se faire du capital en répendant de fausses informations au sujet des communautés qu'il prétend servir?!?

Pourquoi ce livre, écrit par un homme cis, obtient-il plus de visibilité médiatique que les 3 ouvrages écrits par Samuel Champagne sur le même thème? Parce que Samuel est moins crédible, en tant que doctorant en littérature se penchant sur les représentations LGBT+ en littérature jeunesse lui-même trans, qu'un prof de théâtre cisgenre? Permettez-moi d'en douter... Et qu'en est-il du travail de la bédéiste Sophie Labelle, qui survit actuellement grâce au crowdfunding, majoritairement? Et des articles de Florence Paré, qui publie régulièrement dans différents médias, notamment en réponse aux textes ingrats de Mathieu Bock-Côté? Et des nombreux militant.e.s trans qui sont appelé.e.s à aller faire des conférences et des présentations sans aucune forme de rémunération?

Je l'avoue, je n'ai lu que de extraits de TRANSition. Je n'ai pas la force mentale requise pour en absorber plus. Les simples extraits que j'ai vu m'ont déjà causé pas mal de dysphorie. Ne serait-ce parce que l'auteur y désigne les hommes trans (FTM) comme des femmes, et parlent de leurs organes génitaux comme des organes "de femme"! Personnellement, je refuse qu'on qualifie les organes avec lesquels je suis né d'organes "de femme". Pourquoi? Parce que c'étaient encore les miens lorsque j'ai commencé ma transition, et même lorsque j'ai pu faire changer ma mention de sexe sur mes documents légaux. J'ai beau ne pas nécessairement les apprécier, ce sont les miens, et je ne suis pas une femme. Sans compter que le même passage mentionne aussi que si les "femmes" passent plus facilement inaperçu(e)s dans la société en pantalons, il n'en est pas de même pour les "hommes" en jupe ou en robe, précisant que ça peut être drôle?!? Honnêtement, il n'y a rien de drôle là-dedans. Il n'y a rien de drôle dans le fait qu'une personne porte un certain type de vêtements plutôt qu'un autre. Les bouts de tissus ne sont pas exclusifs à un genre ou un autre en fonction de comment ils sont assemblés.

C'est le même scénario à chaque fois. À la télé, au cinéma, au théâtre... On priorise des persones cisgenres pour nous parler de réalités qu'elle ne maîtrisent pas. T'sais, si l'auteur avait été un allié des luttes trans depuis avant que ce soit tendance de l'être, s'il avait consulté pas seulement un groupe communautaire, mais plusieurs groupes et personnes trans avec de visions différentes, s'il avait été le parent d'un.e enfant trans, l'enfant d'un.e parent trans, le conjoint d'une personne trans (il sort avec Jasmin Roy, alors ce n'est pas le cas!), ça aurait déjà mieux passé! S'il avait utilisé la terminologie appropriée, qu'il avait transmis de l'information véridique... Mais ce n'est pas du tout le cas, considérant qu'il utilise "trans" comme un nom alors que c'est un adjectif (une personne trans, pas "un.e trans!)! 

Et je dois admettre que la couverture médiatique est très ordinaire aussi. Quand un article du journal de Montréal (http://www.journaldemontreal.com/2017/11/17/un-premier-ouvrage-pour-mieux-comprendre-les-trans) commence en disant que les termes "cisgenre", "binaire", "non-binaire", "queer" et "transidentité" sont nouveaux, il y a un manque flagrant de recherche. Parce que "Queer", c'était un slur (une insulte, un terme drégadant et péjoratif) utilisé déjà du temps de Stonewall (en 1969...) et que les communautées LGBT+ se sont réapproprié en 1990 (de la même façon que certaines personnes noires se réclament du "n-word"). Et "binaire", c'est loin d'être une nouveauté! Demandez à un.e informaticien.ne, depuis quand les ordinateurs fonctionnent avec le système binaire, soit les fameux 1 et les 0! Binaire, ça signifie simplement "2 options"... C'est loin d'être nouveau! Et dans les communautés, ces termes sont répandus depuis longtemps...!

Bref, la prochaine fois que vous voudrez vous informer sur "un sujet" qui concerne directement un groupe de personnes dont vous ne faites pas partie, renseignez-vous pour la peine. Faites vérifier votre travail par differents groupes et membres de la communauté en question. Ou mieux, mettez vos ressources au service des activistes, chercheur.e.s, artistes et travailleur.e.s trans directement! Qui de mieux placé pour parler d'une réalité qu'une personne qui la vit? Surtout quand il y a en a dans les communautés qui ont un CV pas mal plus rempli pour accomplir ce type de travail... (auteur.e.s, doctorant.e.s en psychologie, en sexologie, en travail social, en histoire, etc.).

Rien sur nous sans nous. Et seulement l'ATQ, ça ne compte pas comme "nous". 😉

Cette image représente drôlement la situation: un homme cis-gay qui s'approprie les causes trans parce que c'est populaire en ce moment sans même se donner la peine de vraiment creuser, mettant tout selon son point de vue en le présentant comme universel...